Un manque de gouvernance dans de nombreux pays africains a permis aux sociétés de pêche étrangères d’adopter des pratiques destructrices, selon un nouveau rapport du Think tank marocain Policy Center.
La surpêche, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée ainsi que l’exploitation mal contrôlée des stocks de poissons par des industries de farine et d’huile tournées vers l’exportation causent de lourdes conséquences pour de nombreux pays africains, a affirmé le Policy Center for the New South (PCNS) dans un rapport de juillet 2024 exploité mercredi par APA.
Le document, intitulé « L’Afrique face à l’épuisement de ses ressources de la pêche maritime », est présenté par Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur et universitaire français qui collabore avec le centre de réflexion marocain.
Dans sa recherche, il pointe le manque de contrôle dans le secteur halieutique africain, permettant à des sociétés de pêche chinoises, par exemple, de s’adonner à des pratiques destructrices, avec comme conséquence l’épuisement des stocks de poissons. Disposant d’un rôle « considérable » et d’un territoire maritime de l’ordre de 13 millions de km² en Afrique, le secteur halieutique emploie 12 millions de personnes, fournissant nourriture et revenus aux populations et aux Etats.
Toutefois, « les perspectives sont pessimistes » en raison des activités de pêche illégales, regrette le PNCS dont la mission est de contribuer à l’amélioration des politiques publiques, aussi bien économiques que sociales et internationales, qui concernent le Maroc et l’Afrique, parties intégrantes du Sud global.
Pour M. Jacquemot, une politique souveraine et durable de la pêche doit correspondre à un niveau des captures en mer compatible avec les besoins de reproduction du potentiel halieutique, à l’ampleur suffisante des débarquements à terre destinés à la transformation pour faire travailler les unités artisanales à terre et à une part suffisante des produits transformés destinée à la consommation locale et régionale pour les populations riveraines et plus lointaines.
« Il faudra certainement restreindre strictement les exportations de farine et d’huile de poisson en provenance de régions où les populations pâtissent de l’insécurité alimentaire et où il est prouvé que les stocks de poissons sont surexploités. Cela supposera préalablement d’obtenir des entreprises qui importent de l’huile et de la farine de poisson qu’elles introduisent une transparence totale sur leurs pratiques d’approvisionnement et d’exiger qu’elles reconnaissent un devoir de vigilance dans leur chaîne d’approvisionnement », a préconisé l’ancien diplomate français en guise de correction.
En revanche, la production halieutique traverse partout « une phase critique », faisant que les stocks de 51 espèces de poissons dans les eaux d’Afrique, de la Mauritanie à l’Angola, indispensables pour la plupart à l’alimentation des populations côtières, sont « en voie de disparition ».
Le tableau est même illustré par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui indique des perspectives « pessimistes » pour le continent à l’horizon 2032 : « La consommation de poisson par habitant en Afrique continuera de diminuer, car les projections de production risquent de ne pas suivre la croissance de la population ».
« La surpêche et la destruction de l’habitat marin ont entraîné un déclin de la pêche côtière dans l’océan Indien.
Madagascar a connu une histoire marquée par un déficit de gouvernance qui a permis aux sociétés de pêche chinoises d’opérer souvent en utilisant des pratiques de pêche destructrices qui ont épuisé les stocks de poissons », souligne le rapport, précisant qu’il y a « très peu de pêche industrielle authentiquement nationale » dans la plupart des pays.
L’évolution des techniques de pêche artisanale contribue également à l’épuisement des ressources, notamment avec la senne tournante, des filets rectangulaires utilisés en surface pour encercler des bancs d’espèces pélagiques. Cette surexploitation biologique se double d’une surexploitation économique quand les embarcations d’artisans pêcheurs se multiplient.
En 2024, le nombre de pirogues est passé en 20 ans de 3800 à 17.400 enregistrées. Certaines disposant d’outils de navigation GPS et de sondeurs, évoluant sur de longues distances, au-delà des eaux territoriales, en Mauritanie et en Guinée-Bissau, avec une grande adaptabilité, passant au gré des besoins de la ligne au filet, explique le document.
Le Maroc, un bel exemple
Depuis six décennies, Pierre Jacquemot note que les États africains ont encouragé la création de sociétés mixtes pour développer leur capacité de pêche industrielle.
La législation de nombreux pays exige une participation nationale d’au moins 51% dans ces sociétés. Cependant, ces exigences sont souvent contournées, rendant ces sociétés « fictives » et laissant le contrôle réel des opérations aux entreprises étrangères.
La Côte d’Ivoire illustre bien les « dérives » de ce système. Dans le port d’Abidjan, 55 des 80 navires de pêche industrielle sont gérés par des sociétés mixtes, mais sous contrôle chinois, conformément à la législation ivoirienne.
A rebours, 90% des chalutiers industriels opérant au Ghana appartiennent à des sociétés chinoises, en violation des lois ghanéennes sur la propriété des navires de pêche battant pavillon local, affirme l’Environmental Justice Foundation (EJF).
Face à ces défis, le Conseil européen a initié en 2004 une nouvelle génération d’accords de pêche, les Accords de partenariat pour la pêche durable (APPD).
Ces accords, négociés avec 14 pays, visent à garantir que les stocks de poissons sont exploités de manière durable.
Les APPD prévoient un suivi permanent de l’état des stocks et renforcent le rôle des organes régionaux compétents en matière de pêche, contribuant ainsi à une gestion plus responsable des ressources marines.
En outre, certains pays africains, comme le Maroc, constituent une embellie dans la grisaille en matière de protection de leurs ressources halieutiques.
Le mécanisme consiste à la signature d’accords basés sur des principes de gestion durable. Ainsi, avec plus de 3000 navires et une infrastructure portuaire étendue, la pêche maritime dans le royaume chérifien génère une production annuelle de plus d’un million de tonnes, plaçant le pays au premier rang des producteurs africains. Ces efforts montrent une voie possible vers une exploitation plus durable des ressources marines, indique le PCNS.