Cet appel survient à un moment où l’Afrique repart sur le marché mondial de la dette, alors que les initiatives visant à alléger les coûts que cela représente pour ses pays, peinent à évoluer.
Lors d’un point de presse le lundi 22 juillet 2024, en marge du Forum politique de haut niveau 2024 des Nations Unies, Claver Gatete (photo), secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), a appelé les pays à explorer des réformes du cadre commun d’allègement de la dette pour mieux faire face à l’endettement élevé et croissant en Afrique.
Celui qui a occupé les fonctions de ministre des Finances du Rwanda avant de se lancer dans une carrière aux Nations Unies, a souligné dans son argumentaire, les défis d’accès aux ressources que connaît le continent pour financer ses priorités de développement, en particulier les fonds concessionnels à long terme et moins chers. Il a déclaré que « la réforme du système financier mondial est urgente, car elle peut atténuer l’accès aux ressources essentielles nécessaires à la mise en œuvre des ODD ».
Des défis désormais bien connus
Dans sa déclaration, il a évoqué, citant la Banque mondiale, le fait que la dette africaine a augmenté de 192% entre 2010 et 2023, atteignant un stock de dette extérieure de 1100 milliards de dollars à fin 2023. « Les pays africains paient 163 milliards de dollars par an pour la servir, ce qui leur laisse peu de marge pour mettre en œuvre les ODD et l’Agenda 2063 de l’Union africaine », a-t-il fait savoir. M. Gatete a souligné la nécessité de lutter contre les flux financiers illicites pour mobiliser davantage de ressources intérieures en Afrique et améliorer la fiscalité. Il a également insisté sur l’importance de développer les marchés de capitaux pour fournir des ressources à long terme dans le cadre de l’engagement du secteur privé en Afrique.
Cette annonce survient alors que le marché de la dette internationale s’est rouvert à l’Afrique en cette année 2024, après deux ans d’exclusion. On a assisté à des émissions réussies de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Kenya début 2024, suivi de celle du Sénégal qui a obtenu un taux de 7,75% dans un récent placement privé. Mais la plus récente sortie du Cameroun, le 23 Juillet 2024, où les investisseurs ont bouclé sur un taux d’intérêt de 10,75% rappelle les défis persistants pour les pays africains.
Le continent peut toujours bénéficier des prêts des institutions publiques internationales qui portent un taux plus faible, mais nécessite parfois des réformes coûteuses et contraignantes pour l’économie des pays demandeurs. La Chine joue un rôle particulier en tant que créancier, facturant en moyenne des taux d’intérêt de 3,2%, nettement plus que les autres créanciers étatiques. Toutefois, elle sollicite souvent des garanties qui rendent son financement encore plus cher.
Cette disparité croissante des taux d’intérêt entre créanciers publics et privés fait que « l’argent des contribuables finance les rendements élevés d’investisseurs privés tels que les fonds spéculatifs », selon de nombreux experts. Pourtant, les pays africains n’ont souvent pas le choix, car il est parfois difficile pour eux d’obtenir des ressources à des taux plus avantageux sur leurs marchés locaux des capitaux.
Sur le plan fiscal, les négociations en cours dans le cadre des Nations Unies offrent la perspective d’un système fiscal mondial plus juste et inclusif. Le groupe africain travaille actuellement à influencer les termes de référence de négociation de ce nouveau cadre de coopération fiscale. Ses propositions en appellent à plus de justice dans l’attribution des droits d’imposition, un impôt minimal suffisamment élevé pour décourager la compétition fiscale des paradis fiscaux. Elles défendent aussi le principe d’une collaboration fiscale plus équitable, basée sur des règles de transparence strictes, en matière de propriété effective et de performances économiques pays par pays des entreprises.
Mais ce projet rencontre une résistance, notamment des ministres des Finances de l’UE qui estiment qu’une convention fiscale de l’ONU « risquerait d’entraîner une duplication des actions internationales en cours » et « serait une perte de temps pour toutes les juridictions ». Cette position contredit le soutien du Parlement européen à une convention fiscale de l’ONU dans son rapport sur les « leçons tirées des Pandora Papers ».
Une implication de l’Afrique nécessaire pour trouver la solution
Les pays africains affirment qu’avec un montant estimé à 50 milliards de dollars par an, ils sont parmi les plus grands perdants des flux financiers illicites et de l’évasion fiscale. Mais bien mieux que de faire ce constat, de nombreuses organisations de la société civile les invitent à s’éloigner des cadres mis en place par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et qui sont jugés insuffisants, comme le reporting pays par pays avec un seuil de 750 millions de dollars inopérant pour eux.
Ils doivent aussi adopter des standards plus rigoureux de déclaration publique de la propriété effective, avec des seuils plus bas que le taux de 1% souvent pratiqué. Car comme le souligne Alex Cobham de Tax Justice Network, « ce qui est désormais clair pour tout le monde y compris ses pays membres, c’est que les propositions de l’OCDE ne sont pas vraiment efficaces ».
En définitive, la réforme du système financier et fiscal mondial est une priorité pour permettre à l’Afrique de mobiliser les ressources nécessaires à son développement durable. Mais le continent doit aussi faire sa part d’efforts, en réduisant le coût des emprunts sur les marchés locaux et en renforçant la transparence fiscale et financière pour limiter les sorties illégitimes de capitaux du fait des multinationales et des fortunés.