Au Burkina Faso, les menstrues figurent toujours parmi les sujets de l’ordre du tabou. Le coût des serviettes hygiéniques reste encore élevé. Avec la situation sécuritaire qui a occasionné un déplacement massif de plus de 122.000 personnes à Kaya, à la date du 28 février 2023, les femmes et les filles font face à plusieurs difficultés dont la précarité menstruelle. Pour jouir pleinement de leur droit en la dignité humaine, une association leur apprend, depuis juillet 2023, à confectionner des protections réutilisables.
La lumière se fait tranchante et l’ombre rare en cette journée du mois d’août 2023. Des gamins sous les arbres sont plongés dans leur jeu et d’autres, observent la route dans l’espoir d’avoir la visite d’une bonne volonté pour leur offrir de quoi à manger. Dans ce camp de déplacés internes Sugrinooma, situé au secteur 4 de la ville de Kaya, à près de 03 km du centre-ville, Sawadogo Asseta, 36 ans et mère de 06 enfants, trouve un refuge. Originaire de Barsalgho, dans le Centre-Nord du Burkina Faso, elle abandonne tout pour fuir l’insécurité. Arrivée dans ce camp depuis plus de 06 mois, elle loge avec des centaines d’autres déplacés internes.
A cette époque-là, en plus du traumatisme du départ forcé, elle fait la rencontre avec un autre handicap : ces menstrues. Elle se rappelle encore la hantise des fuites. « Je me retrouvais souvent au réveil avec le pagne mouillé alors que je ne dors pas seule. J’avais honte à chaque fois que mes menstrues venaient », confie celle qui a grandi dans une société où parler des menstruations et de sa gestion est considéré comme un sujet tabou.
Rencontrée le mercredi 30 août 2023, en plein cœur du centre où règne un silence total, la jeune femme au foulard blanc légèrement terni par la poussière, nous accueille avec un sourire. Le légendaire sourire de l’hospitalité. La plupart des déplacés sont sous les tentes qui leur servent de dortoirs et d’autres en ville à la recherche de travaux ménagers pour gagner leur pain quotidien.
Asseta, qui utilise de vieux morceaux de pagne pour se protéger, fait partie des jeunes filles et femmes initiées à la fabrication des serviettes réutilisables. Lors de la formation, elle a suivi attentivement les trois phases importantes, de la confection à la technique de port de la serviette en passant par le tissu à exploiter. « Nous avons su coudre, quand nous sommes venues. Ça nous a été bénéfique. Avec ça, nous n’avons plus honte », lance-t-elle tout heureuse.
Désormais, avec les serviettes hygiéniques réutilisables, la jeune dame se sent libre de ses mouvements et vaque tranquillement à ses occupations. Elle explique que « si tu les portes, peu importe les gestes que tu fais, ça ne tombe pas. Tu n’as plus peur, quand tu dois sortir. Une fois à la maison, tu laves et tu portes une autre. Ils nous ont donné des outils pour l’étalage, nous étalons et nous mettons un pagne propre par-dessus pour que cela ne soit exposé à la vue de tous ».
Sur le même site, réside Brigitte Sawadogo, âgée de 36 ans, une autre déplacée interne de Barsalgho. Dès son arrivée il y a 08 mois, elle peine à trouver une activité génératrice de revenu pour assurer ses besoins, y compris ceux liés à la menstruation. « La gestion des menstrues était difficile pour moi. Je n’avais pas de matériel. Les serviettes des Blancs qu’on payait étaient chères. Le prix unitaire s’élève à 500 FCFA et chaque mois, je devais en payer. Au moment où on n’a pas d’argent, on utilise nos pagnes délavés. Comme nous savons que la serviette ne peut tenir que pour un mois, on épargne tous les trois ou quatre jours un peu d’argent pour son achat. Sinon, on ne peut pas avoir l’argent un coup pour l’acheter », relate-elle.
Habillée d’un tee-shirt vert assorti d’un foulard de la même couleur, la dame place imidement quelques mots sur la formation qu’elle a reçue. En effet, elle a pu apprendre à coudre les serviettes et les utiliser convenablement. « Son utilité pour nous est énorme », insiste-t-elle d’une voix grave.
Les hommes impliqués
Il existe encore des superstitions comme celle qui voudrait qu’une femme en période de règles soit exclue. Dans bien des cas, elle est soumise à des restrictions d’ordre social, religieux et alimentaire qui peuvent impacter négativement sa santé, ses activités et sa vie de couple. Dans la province du Soum, d’où Sawadogo Abel, 38 ans, un déplacé interne du site est originaire, la tradition veut que, pendant ses règles, une femme ne fasse pas à manger pour son époux ou sa famille pour ne pas “contaminer” son environnement par son impureté.
Pour briser les croyances et tabou associés aux règles, contraignant certaines femmes à se débrouiller seules à l’arrivée de leurs cycles, Sawadogo Abel et d’autres hommes du camp de Sugrinooma ont aussi bénéficié de la formation. Le jeune homme n’éprouve pas de gêne lorsqu’il aborde dans les moindres détails, ce qu’il a appris sur les bons gestes d’hygiène menstruelle ainsi que le soutien financier, moral et sentimental qu’il doit apporter à son épouse pendant sa période de menstruation.
« La formation a fait sortir ma femme et moi de l’obscurité à la lumière, de l’ignorance à la connaissance. Elle nous a permis d’avoir plus d’hygiène et cela a diminué nos dépenses par rapport au passé. Auparavant, parler des menstrues était honteux pour nous. Mais avec la formation, nous avons su qu’il n’y a pas de honte à en parler avec notre fille. Ça nous a permis de lui transmettre les connaissances acquises ».
Il ajoute que : « cette formation est vraiment importante car le manque de connaissances jouait négativement sur les jeunes filles notamment sur leurs études. Souvent leurs menstrues les surprennent à l’école avec des douleurs et une fois de retour à la maison, elles ne veulent plus y retourner. Mais la formation va les aider à rester en scolarité ».
Facile à coudre et économique
L’arrivée des règles, pour les déplacées internes, est souvent synonyme de peur et d’anxiété en raison de l’absence d’accès physique ou financier à des protections hygiéniques. Conséquence : elles sont obligées d’imaginer des solutions alternatives qui peuvent être dangereuses pour leur santé, inefficaces et peu hygiéniques. Pour résoudre ce problème, en juillet 2023, l’association Palobdé s’est illustrée en montrant aux femmes déplacées internes de 15 à 45 ans, la confection des serviettes hygiéniques réutilisables pour leurs besoins.
Cette action a sonné comme un cri de cœur selon Tiendrebeogo Roseline, la présidente de l’association Palobdé qui est venue en aide à ces filles et ces femmes déplacées internes . « Pour toute femme, ce besoin est crucial. L’idée de les voir utiliser de vieux morceaux de pagne pour se protéger nous a vraiment marqué et poussé à monter ce projet de kit réutilisable. Le manque d’accès à des connaissances et des produits de base peut entrainer des souffrances physiques et psychologiques. Nous leur avons donc appris, ce qu’il faut comme matériel pour bien se protéger et les gestes d’hygiène à adopter, puisqu’elles sont dans les sites de déplacés et ont plus de risques de développer des problèmes de santé», explique-t-elle.
Pour la confection des « lavables », de petites unités se sont créées sous les tentes du camp. Sous les machines à coudre qui ronronnent, se dresse du pagne, tee-shirt, un sachet biodégradable et l’aiguille. Ces serviettes, de taille différente et formes identiques, sont composées de deux couches en fibre naturelle, d’environ un centimètre d’épaisseur, qui s’attachent au sous-vêtement à l’aide d’un petit bouton.
Dans la couture, chaque femme est très impliquée et prépare elle-même les morceaux de tissu, avec une couleur de son choix. « Le pagne utilisé est un peu défléchi, mais pas totalement usé et le tissu est absorbant de sorte que pendant le cycle, cela puisse retenir le sang menstruel. Il y a également une couverture en coton, ou bien les tee-shirts usagés qui sont déchirés, mais en coton. Pour qu’il n’y ait pas de fuite, nous avons ajouté le sachet blanc biodégradable imperméable. Toute la couture s’est faite à la main avec l’aiguille », détaille la fondatrice de Palobdé.
Ces serviettes cousues sont utilisables pendant 03 à 04 mois selon le besoin de chaque femme. Pour la destruction de ces serviettes, les femmes sont encouragées à les jeter dans des toilettes externes ou à les enterrer en brousse. En ce qui concerne les techniques de lavage, les femmes peuvent utiliser du savon kabakourou (Ndlr : savon local fabriqué à base beurre de karité, d’eau et d’autres solutions chimiques) ou la potasse.
« Quand elles finissent, elles mettent encore dans l’eau chaude, mais pas bouillante pour stériliser les couches. On la lave avec un savon simple ou celles qui n’arrivent pas à avoir du savon, même avec de la potasse, elles peuvent bien les stériliser », insiste Tiendrebeogo Roseline. En trois jours, 500 femmes ont appris les techniques pour fabriquer leur serviette hygiénique.
Solution contre la précarité menstruelle
Entre 13 et 51 ans, une femme a approximativement 500 cycles menstruels, soit environs 5 jours de règles chamois pendant 38 ans. C’est en moyenne le vécu de la moitié de la population mondiale dotée d’un utérus, dont près de 2 milliards sont en âge d’avoir des règles. Au Burkina Faso, selon les chiffres de l’association Menstru’elles, 03 femmes sur 04 sont en situation de précarité menstruelle.
Cela signifie qu’elles n’ont pas accès à des protections hygiéniques en nombre suffisant pour avoir une bonne hygiène. Or, une mauvaise hygiène menstruelle porte atteinte aux droits fondamentaux – y compris le droit de travailler et d’aller à l’école – pour les femmes, les filles et les personnes qui ont leurs règles, souligne l’UNFPA.
L’agence précise que cela aggrave également les inégalités sociales et économiques. Dans cet élan de lutte contre le phénomène et de prise en charge des personnes déplacées internes, le ministère de l’Action humanitaire distribue gratuitement, chaque année, des protections lavables aux femmes dans des camps de déplacées internes qui ont fui l’insécurité. Pour la seule province du Sanmatenga, région du Centre-Nord, 49 sites en bénéficient dont 22 à Kaya.
En cet après-midi du mois d’août, beaucoup de femmes sortent de leurs tentes pour rejoindre, sur appel de la direction provinciale de l’action humanitaire, l’espace de distribution des vivres. Sur place, nous rencontrons Maiga Koutouna, 36 ans et mère de 7 enfants. De teint noir et tête voilée, cette dame est visiblement rongée par le poids des difficultés. Elle n’a pas bénéficié de formation, mais elle fait partie de celles qui ont obtenu des kits de dignité composées de sous-vêtements, de 09 couches lavables, des savons, des pagnes, des lampes, etc.
La trentenaire ne craint plus désormais les fuites des menstrues, peu importe ses gestes et se sent soulagé. Sa condisciple du camp, Sawadogo Rasmata, de son côté, ajoute qu’elles ont aussi eu droit à des séances d’échanges sur la santé reproductive. « On m’a appris à calculer et j’ai vu que mes menstrues viennent le 28 du mois, l’ovulation aussi commence le 11 au 15 du mois. Mais nous aimerions apprendre davantage pour mieux comprendre », lâche-t-elle, pressant les pas pour récupérer son kit.
Le gestionnaire du camp de Sugrinooma, Moussa Sawadogo, explique que les sensibilisations se font en de petits groupes de 20 à 30 personnes et de 50 personnes et plus en fonction des thématiques abordées. Les rencontres ont lieu trois fois par semaine et portent sur « la planification familiale, la gestion des menstrues, la cohésion, la protection de la famille, le vivre ensemble ainsi que des activités à mener pour la bonne gestion du site », explique-t-il.
Autonomisation
Le projet est également un moyen d’autonomiser les femmes déplacées internes de Kaya, car il leur offre une opportunité d’acquérir de nouvelles compétences. A l’issue de la formation, 50 femmes ont été identifiées sur l’échantillonnage d’une femme sur 10 pour parfaire leurs connaissances en confection de serviettes périodiques sur trois jours en septembre 2023. Leur mission, renforcer les capacités de celles qui ont déjà fait la formation et apprendre les techniques de confection aux nouvelles apprenantes.
Après quelques semaines, la majorité des femmes savent confectionner les « lavables » pour l’utilisation familiale et la commercialisation. Une des bénéficiaires, sous anonymat, nous a montré sa petite fabrique dans laquelle elle coud les serviettes à la machine. Elle a même apporté sa petite touche particulière en remplaçant le bouton-pression qui tient bien la culotte par de petites garnitures.
Aujourd’hui, elle arrive à en vendre une dizaine par mois. Ce qui lui permet d’aider son époux en contribuant dans la prise en charge de sa famille. Elle se réjouit de savoir que sa technique de confection des serviettes réutilisables, montrée à une de ses voisines, est de plus en plus dupliquée dans tout le camp.
Défis majeurs : nettoyage et stérilisation des « réutilisables »
Le manque d’installations sanitaires appropriées, dans le camp de Sugrinooma, complique parfois une gestion hygiénique des règles. La plupart du temps, les femmes éprouvent des difficultés à faire sécher leurs couches après lavage. « Surtout avec la saison pluvieuse où à tout moment il y a des pluies et nous ne pouvons pas les étaler dans les tentes qui constituent leurs maisons parce que nous sommes nombreux dans une petite maison. Nous sommes souvent contraintes à les porter toujours mouillées », regrette Maiga Koutouna, logée sous une des tentes avec plusieurs autres femmes.
Une des exigences des serviettes réutilisables est le lavage à l’eau chaude savonneuse ou au détergeant. Mais sur le site, le manque d’eau rend la période menstruelle plus difficile pour ces femmes déplacées. « Pour avoir l’eau, c’est compliqué, car nous n’avons qu’une seule pompe qui fonctionne. La disponibilité de l’eau pose vraiment un problème », regrette Asseta Sawadogo, mère de 06 enfants.
Dans la fabrication de ces serviettes hygiéniques réutilisables, les femmes rencontrent également des difficultés dans l’acquisition du matériel. « Nous n’avons pas le matériel, nous voulons coudre, mais nous n’avons pas les moyens », note Brigitte Sawadogo.
Interrogés, plusieurs médecins gynécologues informent n’avoir pas de données sur l’impact de ces serviettes hygiéniques sur la santé des femmes. Selon eux, il faut faire une étude sur les éléments constitutifs de ces serviettes et aucune étude n’a été menée dans ce sens. Cependant, l’attaché de Santé en Épidémiologies, Alima Kollo, Sage-Femme de formation, attire l’attention sur les risques liés au mauvais entretien de ces serviettes hygiéniques.
« En cas de pénurie d’eau malheureusement, ces serviettes doivent être purement et simplement éliminées, car si ce n’est pas lavé à l’eau et au savon puis étalé au soleil, elles deviennent source de microbes, un bouillon de culture microbienne. Cela va engendrer des infections génitales basses et hautes, notamment les pertes blanches abondantes et nauséabondes, des douleurs pelviennes, des prurits vaginaux et l’infertilité, etc », déclare-t-elle.
Agent au bureau de la santé des adolescents et des Jeunes de la direction de la santé de la famille du ministère de la Santé, la sage-femme informe que le séchage des serviettes hygiéniques réutilisables, à l’air libre, est sans danger. De son avis, l’air et le soleil agissent sur certaines spores et microbes. Cependant, « il faut s’assurer que les serviettes ne soient pas exposées à la poussière et les ranger après séchage ».Confrontées à la douleur d’avoir fui leur logis, ces femmes ont, grâce à ces serviettes hygiéniques, une épine de moins du poids de leurs défis. Celle de la dignité.
Reportage réalisé par Alice Suglimani THIOMBIANO avec le soutien de la CENOZO dans le cadre de la phase 2 du projet “Autonomisation des femmes journalistes du Burkina Faso”.